Ce qu'elle m'a raconté ce matin.
C’est une vieille dame
maintenant. Chez eux, on ne prenait pas de photographies. De son fils, elle n’en
avait qu’une, prise on ne sait comment, rangée dans ce tiroir qu’on n’ouvrait
jamais. Alors, sur la noire pierre tombale, c’est ce portrait qu’elle a fait
imprimer en blanc, et qui n’est pas très ressemblant. — Il avait de si belles mains, même si je ne m’en souviens pas bien, il
était pianiste, vous savez. — Vous
alliez le voir jouer ? — Oui, dans sa chambre, souvent. Avec le temps,
les souvenirs de son visage s’amenuisant, sa mémoire se raccrochait à ce
portrait jusqu’à ne voir plus que ça. Tout le reste devenait flou, menaçait de
s’effacer de foutre le camp, mais je ne
veux pas que mon fils s’en aille, mon enfant. Voilà pourquoi, dans ce
cimetière, elle approche son fils par derrière et couvre d’un drap noir sa
pierre. Ainsi a-t-elle pu retrouver son visage, en se concentrant.
Elle ne vient que lorsqu’il
pleut car la pluie camoufle ses larmes, comme
ça, ces jours-là, il ne sait pas que je suis triste. Une bise se lève,
chasse quelques rares nuages. Pourtant la météo lui avait promis qu’elle
pourrait pleurer ce matin. Elle reviendra demain, vous lui ressemblez un peu ; au revoir, monsieur. De derrière,
elle a ôté le petit drap. J’ai regardé : ce n’était pas vrai. Une heure après, il pleuvait.