Calmement.
Il faut dire les choses
calmement, même doucement ; quand on crie on se trompe souvent. On ne le
sait pas forcément : on fait semblant. Je crie beaucoup ces derniers
temps. Que l’on forçât ma mère à balayer la cour ne me fit pas souffrir,
contrairement à ce que je voudrais dire, simplement je le sais, c’est là :
quelqu’un força ma mère à balayer. Moi, je jouais, là-haut, j’ignorais, ou j’étais
à l’école, j’ignorais. Aurais-je su que j’aurais continué de jouer, ou de
regarder un oiseau par la fenêtre de la classe. Peut-être l’enfant aurait-il
dit « Ah ? », mais il n’aurait pas compris, il aurait joué
encore, ou continuer d’imaginer par la fenêtre. Quelqu’un forçait ma mère, c’était
son frère. Qui lui faisait payer sa générosité de l’héberger, dans un
appartement vacant, sans vie, de ces coups de balai obligés. Maman ne pleurait
pas devant lui, ni devant ses enfants, ce qui fait qu’elle ne pleurait pas. Ou
alors je ne le savais pas, j’étais à l’école et j’imaginais mille choses dont
je ne me souviens pas. Je me souviens, c’est curieux, seulement de ce que je ne
savais pas, de ce qui devant mes yeux jamais ne fut. En d’autres termes, en moi
seules les absences laissent des traces, posent leurs germes, comme parfois,
comme là, un peu de colère tenace, un peu de haine à retard, mais je peux les
dire calmement : je suis si absent.
Il est possible que j’aie
perdu ces mots qui faisaient mon humanité.