Le temps d'imaginer.
J’avais rendez-vous avec
son ancienne meilleure amie, qui a laissé, avant de venir, un message sur mon
répondeur. Au fil de ce message, le temps de deux syllabes, après les
politesses d’usage, sa voix s’est adoucie, s’est rapetissée – déjà j’imaginais :
sous le poids des mots à prononcer –, petite fille battue, désolée, trop sage, elle
disait J’ai eu..., j’ai pensé Ça y
est..., j’attendais qu’elle dise un prénom, …des nouvelles ou Alger mais
ces deux syllabes aspiraient le temps, le retenaient, alors j’en ai eu assez pour
imaginer, tout imaginer y compris la vérité. Voir les bombes éclater. Un train est passé
qui a tout emporté, voyageurs et mots enregistrés ; je n’ai pas réécouté,
je voulais qu’elle en arrive au fait. Elle disait « J’ai eu un problème, j’aurai
un peu de retard » ; j’ai raccroché.
En deux syllabes j’avais
eu le temps de tout imaginer y compris la vérité – que je ne saurai peut-être
jamais.