Je ne me suis pas noyé.
J’ai rêvé que mon père était
vivant, quelque part, avec un enfant. Pas très loin géographiquement, mais où :
ça, je ne savais pas, séparé de moi par sa secrète volonté, par mon ignorance d’enfant
disant à maman « Il est où, Papa ? », et elle pleurait, n’arrivait
pas à dire les mots d’usage, « Il est monté au ciel ». Mais comment
maman va-t-on au ciel quand on est sous terre ? J’hurlais « J’ai vu
le trou, maman ! Tu mens ! j’ai vu le trou, maman ! » Dans
mon rêve c’était différent, ce que j’hurlais, c’était « Mais il est vivant,
maman ! mais il est vivant ! » ; elle n’entendait pas. Ce
qui m’éberluait était moins qu’il fût vivant que j’eusse un autre frère et un
court instant, un très court instant, j’ai ressenti une jalousie immense,
immonde, un bref instant si puissant que j’en ai été réveillé, si brusquement
que j’ai paniqué ; j’avais le front trempé, les joues mouillées. Je
baignais dans le creux de mon matelas, tout draps repoussés, dans la sueur que
provoque la peur. La peur et la sueur qui me faisaient crier « Je
vais me noyer ! » J’ai su rapidement que ce n’était pas vrai mais en
pensée je criais « Je vais me noyer ! », je criais, je criais pour
qu’il vienne me sauver mais, de derrière son secret, il se contentait de
regarder. Je continuais, mais doucement, de répéter « Je vais me noyer,
je vais me noyer… », mais en murmurant ; et je souriais étrangement.