Grand'père
Je
relisais mes vieux petits écrits, je devais
avoir un peu plus de vingt ans quand je rédigeai celui-ci. Le souvenir
me
secoue un peu, non : me secoue vraiment. Je l'écrirais autrement
aujourd'hui,
bien sûr, car j'ai vieilli. Il mériterait d'être retravaillé. J'ai une
petite gêne à le dire : il est trop brut pour être montré. Mais, ces
jours, je n'aurai pas le courage d'y revenir. Et peut-être jamais.
Ce n’est pas par hasard,
sans doute, qu’on l’avait installé dans cette chambre. La peinture craquait ; à
la place des morceaux tombés la saleté s’était installée. Un plus vivant eut
été effrayé. Lui avait cette inconscience des gens qui ne veulent voir ni la
mort arriver ni la peinture tomber. En entrant, ce sont les murs que j’ai vus
en premier. Ensuite seulement le vieux qui déjà si bien les habitait, mais
c’était le même délabrement. Une pièce qu’avaient martyrisée les peines.
Son corps excepté, mon
grand’père était resté le même. Juste inconscient de sa mort qui venait. Il
restait drôle, parlait du personnel qui « avait tout de même des notions
de médecine », avait ses gestes d’autrefois – mais en plus
vague –, réclamait en bon médecin qu’il était à ce que sa transfusion vide
fût retirée ou remplacée.
Il était devenu tout
frêle, prêt à être emporté d’un coup d’un seul, sans histoires. Il ne bougeait
plus guère. Sauf du dentier lorsqu’il parlait – car le personnel infirmier
l’avait mal collé. Mon Dieu, j’espère qu’il ne m’a pas vu le regarder. Dans ses
yeux, il y avait cet éclat qui disait l’amour mais c’est le dentier que je
regardais. Papi, je te demande pardon.
La mort lui a pris bien des kilos avant de l’emporter tout à fait. Puis elle a posé dessus son suaire pour vieux. Ce triste gris que la peau prend quand l’intérieur est entièrement pourri ; ce triste gris que prend la peau quand le corps dit : « C’est fini. » Il a attendu que les visites de la journée cessent pour mourir une bonne fois pour toutes.