Un peu sous verre, un peu sous terre. Mais nulle part en ma mémoire.
Ma maman m’a demandé si je
voulais qu’elle les fasse encadrer ; j’ai accepté. Bientôt j’aurai mon
papa sous verre, c’est déjà un peu mieux que sous terre. De cette manière, je
pourrai le regarder, me faire à l’idée qu’il a existé. D’autant que, même si je
soulevais la pierre, je serai bien en peine de dire où il est, rangé dans l’ombre
d’un coin où nul regard ne vient.
Mon père, dans ses jeunes
années, aimait chanter : ça lui faisait un peu de monnaie. J’ai cru me
souvenir, un temps, qu’il me chantait Les
sabots d’Hélène pour me bercer. On m’a appris que c’est un souvenir
inventé et c’est dommage car c’est tout ce qu’il me restait. Ce qui est
certain, c’est qu’il fredonnait tandis qu’il avait sa jeune nièce dans un bras,
qu’il lui caressait la tête d’une main – ce pauvre bébé qui déjà mourrait. Peut-être
est-ce à cette enfant qui passait sans savoir que bientôt il la rejoindrait qu’il
fredonnait : « Et dans le cœur d’Hélène / qu’y avait jamais chanté
/ J’ai trouvé l’amour d’une reine / Et moi je l’ai gardé. » Ç’a dû être le
dernier souvenir de ma cousine et – tant pis, je le dis –, moi qui n’en ai pas, je le lui aurais bien pris.
Il y a quelques années, en
prévision de leurs vieux jours, mes grands-parents décidèrent de faire de la
place dans le caveau. Alors, de mon père et de ma cousine, ils mélangèrent les
os, entassés dans une boîte, petite, mesquine. Et sans demander à l’adulte que j’étais,
et sans s’émouvoir pour les parents de la petite enfant. Tout de même, encore
une fois dans ses bras, elle aura eu de mon papa bien plus que moi. Et je m’en
veux de penser ça.